Il y a, dans le monde, des lieux étranges, sinistres et envoûtants à la fois. Des lieux qui nous attirent irrésistiblement par l’atmosphère sombre et inquiétante qui en émane. Ces sites sont, souvent, associés à des personnages fascinants, tant par la noirceur de leur âme que par la cruauté de leurs actes. Il en est ainsi du château de Reignac et de son ancien maître, dont le surnom seul glace le sang : le bouc de Reignac. Possession, folie, les théories les plus folles ont circulé pour expliquer les exactions du Seigneur de Reignac
Aujourd’hui, le château de Reignac, aussi appelé maison forte de Reignac est une attraction touristique, en Dordogne. C’est le dernier château-falaise encore debout dans notre pays. Contre une poignée d’euros, vous pouvez découvrir, derrière cette façade de pierres, qui semble jaillir de la roche, une bâtisse étonnante. Rien, de l’extérieur, ne permet de soupçonner les volumes des pièces qui s’enchaînent dans les entrailles de la montagne. Meublée avec le mobilier d’époque, la maison forte de Reignac dégage une atmosphère paisible, conviviale, voire intimiste. Il n’en fut pas toujours de même.
En ce début du XIIe siècle, la vallée de la Vézère connaît un incroyable enchaînement de meurtres sanglants et d’actes d’une violence inouïe. Les voyageurs se font détrousser et assassiner sur les chemins empierrés de cette région sauvage. De jeunes bergères disparaissent mystérieusement alors qu’elles gardent sagement les troupeaux. Des ecclésiastiques sont retrouvés battus à mort et mutilés avec une rare cruauté.
Il n’y a apparemment aucun lien entre ces actes odieux, mais surtout aucun témoin vivant pour raconter les faits. On parle bien d’un bandit qui hanterait le pays, le visage recouvert d’une peau de bête, mais il ne s’agit que de rumeurs, de on-dit.
Malgré tout, la liste des exactions et des atrocités qui n’en finit pas de s’allonger commence à inquiéter les autorités de Sarlat. Que se passe-t-il donc dans cette région si paisible auparavant ?
C’est tout naturellement que le pouvoir va demander au nouveau seigneur du lieu, Jaquemet de Reignac, de diligenter une enquête sur ces mystères. Une enquête qui durera longtemps, très longtemps et pour cause.
Derrière les murs de sa forteresse imprenable, Jaquemet de Reignac n’a cure des demandes de Sarlat. Il a bien d’autres chats à fouetter. C’est d’ailleurs armé d’une solide lanière de cuir qu’il pousse la porte de sa chambre, une petite cellule de quatre mètres carrés seulement. Cet espace réduit lui rappelle certainement ses années de captivités dans les geôles musulmanes. Ses yeux brillent d’un éclat démoniaque. L’ancien croisé pose un regard cruel sur la jeune fille terrorisée et à moitié nue qui, plaquée au mur, tremble de tous ses membres.
Le seigneur de Reignac est un personnage dur et implacable. Son crâne dégarni, sa longue barbe blanche, son nez busqué qui s’étire dans le prolongement d’un front bas et son regard pénétrant comme l’acier d’une lame, distillent une sourde terreur chez ses sujets.
Dans sa jeunesse, l’homme fut écuyer aux écuries de Montignac. Pressé par son père de partir en Terre sainte pour délivrer le tombeau du Christ, il fut fait prisonnier par les Sarrasins et demeura, des années durant, leur captif au fond d’un cachot puant.
À la mort de son père, il réussit toutefois à regagner sa Dordogne natale pour prendre possession de ses terres et de son château.
Intransigeant et violent par nature, il ne perd aucune occasion d’affirmer qu’il est le maître. Il organise la justice, dont il a la charge. L’une de ses premières mesures est de pendre une douzaine de juifs qui avaient accordé des prêts usuriers à des catholiques.
Avec lui, les jugements sont expéditifs et la sentence invariable, c’est la mort. C’est un spécialiste de la torture qui sait faire durer longtemps la peine des suppliciés. Il trouve beaucoup de plaisir dans la souffrance d’autrui, mais aussi dans le sexe. Il profite pleinement de son droit de cuissage sur toutes les femmes de la région. Ce droit, les seigneurs précédents l’avaient abandonné. Mais, avec le nouveau maître de Reignac, désormais surnommé le Bouc de Reignac, tant à cause de ses appétits sexuels que pour sa supposée accointance avec le diable, les jeunes mariés doivent à nouveau conduire leurs épouses au château, le soir des épousailles.
Pendant ce temps, la vague de crime continu à s’abattre sur la vallée. Le pouvoir en place commence à s’interroger. Le Bouc ferait-il traîner l’enquête ? Pourquoi, quel sont ses intérêts…
Bientôt, la réponse s’impose, l’homme derrière tout cela n’est autre que le Bouc lui-même. Il avait créé, avec ses chevaliers, une bande de brigands qui pouvaient agir en toute impunité, puisqu’ils étaient à la fois juges, jurés et bourreaux.
Finalement, il doit s’enfuir et part pour la Sicile. Mais, avant son départ, comme une ultime provocation, il assassine un ecclésiastique de haut rang.
Avec la disparition du Bouc de Reignac, la paix retombe enfin sur la vallée, les crimes cessent, les jeunes bergères peuvent regagner les pâturages en toute sérénité. La vie reprend son cours.
Mais qu’est-ce qui nourrissait la haine et la folie de cet homme démoniaque ? Le traumatisme des années passées dans les geôles musulmanes ? C’est possible ! Une possession infernale ? Difficile à croire
Il faut remarquer que la violence du Bouc de Reignac était souvent orientée vers des ecclésiastiques. C’est parce que l’homme cachait, en réalité, un lourd secret sur ses origines. Il était le fruit d’un viol. Sa mère, qui avait été violée par un prêtre, l’avait élevé dans la haine de la religion et de ses représentants.
Cela n’excuse bien sûr pas ses crimes, mais nous donne tout de même une piste sérieuse pour mieux comprendre l’agissement de Jaquemet de Reignac.
Cela nous interpelle aussi sur les dangers qui pèsent lorsque tous les pouvoirs sont réunis entre les mains d’un seul homme.